

On ne comprend pas bien d’où vient ce qu’on entend sur France Inter ni la position des socialistes si on oublie que les grandes personnalités politiques Juives de gauche — Blum, Mendès-France en particulier — étaient de fervents sionistes. Le soutien au sionisme dans le Parti socialiste français plonge ses racines dans l’entre-deux-guerres, incarné notamment par Léon Blum, figure centrale de la SFIO. Dès les années 1920, Blum noue des liens étroits avec Haim Weizmann, futur président de l’État d’Israël. Il milite activement au Keren Hayessod, participe à l’Agence juive et représente la France au congrès sioniste de 1929. Convaincu de la nécessité d’un État juif, il place son engagement sioniste sous le signe d’un idéal culturel et civilisateur.
Mais ce sionisme de gauche s’accompagne aussi d’un colonialisme culturel assumé. En 1925, en pleine guerre du Rif, Blum déclare à la tribune de la Chambre:
« Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture… Nous avons trop d’amour pour notre pays pour désavouer l’expansion de la pensée, de la civilisation française. »
La même année, lors d’une réunion qui eut lieu à Paris en l’honneur de Weizmann, il prononcera ses mots très révélateurs [1] :
[…] quand on pense que le Foyer de Palestine existe, repose sur des bases aujourd’hui si solides et si sûres, […] quand on pense qu’il y a là un véritable État moderne, marchant, à bien des égards, en tête de la civilisation, on se rend compte qu’il y a là le résultat d’un immense effort collectif, d’un immense phénomène de foi, comme peut-être le peuple juif peut seul en donner l’exemple.
Pierre Mendès France, quant à lui, défend une ligne similaire. Quand il est président du conseil (1954-1955), il approfondit la coopération militaire avec Israël. Plus tard, En 1967, au moment de de la guerre des Six Jours, il regrette le revirement de De Gaulle, soutient Israël, participe à la fondation du comité pour le droit à l’existence d’Israël, plus tard le comité démocrate socialiste pour le droit d’Israël à l’existence (avec les parrainages de Gaston Deferre, François Mitterrand ou Guy Mollet).
De Gaulle, après la guerre des six jours, finit en effet par tourner le dos à Israël. Il savait, fort de l’expérience coloniale en Algérie, qu’on ne pouvait pas imposer durablement une domination militaire sur des peuples arabes sans provoquer des résistances profondes et durables. Dans son intervention du 27 novembre 1967, que je vous recommande de lire dans son intégralité, il dit notamment:
On sait que la voix de la France n’a pas été entendue, Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion et s’il manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme.
Il estimait que les Israéliens, en s’installant dans les territoires conquis (Cisjordanie, Gaza, Golan, etc.), allaient attiser un conflit permanent avec le monde arabe. Il avait raison, bien sûr. Mendès-France, qui tentera toute sa vie de créer les conditions de la paix entre Israéliens et Palestiniens, mais qui était sioniste avant tout, s’opposera à lui, et dira :
« Les vrais amis d’Israël, ce sont les hommes de gauche. »
Sous Guy Mollet, la SFIO appuie militairement Israël lors de l’expédition de Suez (1956), en opposition à l’Egypte, affirmant une solidarité stratégique mais aussi idéologique avec l’État hébreu, perçu comme une démocratie avancée. Guy Mollet, qui voit dans l’empire la grandeur de la France, voit en Israël son allié. Le 30 octobre 1956, il déclare:
Nous connaissons bien le peuple d’Israël. Nous savons son courage et sa résolution, le courage avec lequel, jour après jour, les Israéliens s’attachent à la mise en valeur d’un sol difficile, le courage avec lequel,
environnés de populations hostiles, ils maintiennent l’intégrité de leur territoire. Nous savons leur attachement aux droits de l’homme et aux principes fondamentaux de la démocratie, principes dont, plus que
personne peut-être, ils savent le prix réel.
C’est à dire que le soutien au projet colonial Juif est dans l’ADN des socialistes, et des figures Juives socialistes depuis toujours, même avant la guerre. Ce n’est pas une prise de contrôle récente ; c’est une continuité. On assiste aujourd’hui à la même radicalisation des partisans du sionisme face à la résistance arabe locale que celle qu’on a pu la voir sous la quatrième république face à l’Algérie, une radicalisation qui là aussi fut bipartisane mais particulièrement virulente sous les présidences de conseil socialistes de Mendès-France et Guy Mollet.
[1] La revue juive : revue internationale, 15 janvier 1925, p.287. Consulté sur Gallica.
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