Le sionisme est juif

Le sionisme et ses crimes sont juifs. Tout simplement. Comme la Compagnie des Indes était britannique, le Républicanisme colonial français, et le nazisme allemand. Que les Juifs ne soient ni tous sionistes ni tous criminels, voilà une évidence un peu trop enfoncée qui ne saurait effacer la responsabilité collective de la diaspora : c’est bien en son sein que s’est développé le nationalisme juif et c’est bien d’elle, comme lieu intellectuel, qu’on attend la condamnation, la remise en question et l’analyse. Or, ces dernières ne viennent pas. Sioniste ou antisioniste, la préoccupation affichée de la diaspora, c’est d’abord l’antisémitisme, comme s’il fallait que le monde entier l’aime toujours et à tout prix, peu importe les bêtes immondes qui surgissent de son ventre.

La diaspora est diverse, bien sûr. Celle-là nous dit « le sionisme c’est l’auto-détermination des Juifs », l’autre « Nétanyahou n’incarne pas les belles valeurs du sionisme », la dernière, « le sionisme trahît le judaïsme et le monde Juif, qui ne sont que combat contre l’oppression ». Ce rejet aussi divers qu’unanime de toute responsabilité par la communauté juive est frappant, une position dans laquelle elle emporte bien des Intellectuels, qui, constante de l’Histoire contemporaine, sont des bêtes avachies, soumises à un mal qu’elles n’arrivent pas à distinguer tant il émerge des opprimés d’hier et de leurs intentions les plus pures. Car oui, on ne le rappelle jamais assez, rare est le mal conscient de lui-même, que ce soit l’homme qui détruit la Terre qui le nourrit, la cellule cancéreuse qui détruit le corps qui l’héberge ou le Juif qui défend la pensée émancipatrice moderne, la lutte contre les « discours de haine », sans voir qu’elles sont aussi le lit des pires exactions et sans doute de sa propre fin.

Dans quelques années, on nous expliquera comment les États occidentaux ont collaboré. On coupera quelques têtes comme on a coupé celles de Tony Blair ou de Nicolas Sarkozy, mais on continuera de taire la nature de leur soutien et la part active prise, dans l’histoire du sionisme, par des acteurs et des récits venus du monde juif lui-même. On oubliera de se demander comment l’imaginaire juif a permis le sionisme comme on s’est pourtant demandé comment l’imaginaire romantique et pangermanique a nourri le nazisme. On ne se demandera pas non plus pourquoi la diaspora n’a jamais condamné, nommé ou pointé du doigt ses propres élites sionistes, pourtant centrales dans le soutien d’Israël. Pourquoi, paralysée par la  mémoire particulière de sa propre persécution, elle a laissé certains des siens, qu’elle méprisait pourtant, prendre le contrôle des mots et des Etats.

L’espit ordinaire, plus sensible que l’universitaire, le sait pourtant : le soutien occidental à Israël n’est pas tombé du ciel, il n’est pas qu’affaire de diplomatie ou d’intérêts stratégiques et économiques. Il s’enracine aussi dans une présence sociale, culturelle, intellectuelle. C’est dans les pays où les communautés juives sont les plus importantes et les mieux structurées — dans l’ordre les États-Unis, la France, le Canada, le Royaume-Uni, la Russie, l’Australie, l’Allemagne — que les gouvernements ont le plus activement soutenu Israël. À l’inverse, l’Irlande, l’Espagne ou la Norvège, qui comptent peu de Juifs et encore moins de structures communautaires, ont été les opposants occidentaux les plus cohérents à l’entreprise sioniste. C’est à nous de reprendre notre histoire, d’éclairer les racines intellectuelles et sociales du nationalisme juif, les liens entre le modernisme et l’« expansionnisme militaire à base raciste d’Israël » que Ricoeur prédisait déjà en 1958, d’expliquer comment le sionisme n’est qu’une synthèse des nationalismes européens du XXième siècle : romantique, suprémaciste, impérialiste, intellectuel et propagandaire.

Si on laisse les clefs du récit à l’historien juif, il désignera demain la France, le Royaume-Uni, les États-Unis comme uniques responsables du malheur palestinien, il récitera des discours qui alimenteront chez nos peuples une réaction brutale, peut-être hitlérienne, car propulsée par un sentiment d’injustice et de fausseté face à des mots qui ne correspondent pas à leur réalité.

Alors, la tragédie juive, toujours impensée, restera prisonnière de son cycle.


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