J’ai trente cinq ans. Je suis un chercheur français et non-Juif. J’ai ouvert le journal en ce jour où l’on découvrait que la France avait livré des armes à l’Etat Juif sans discontinuer. Et c’est sur Paul Bernard que je suis tombé. Haut fonctionnaire, il m’expliquait le malheur d’être un Juif en France. Alors, il fallait que je lui dise comment il m’avait rendu antisémite.
Mes parents ne m’ont transmis aucune haine à l’égard des Juifs. Ni eux, ni l’école. Ils m’ont fait lire Elie Wiesel et Primo Levi. Ils m’ont dit que « juif » était une religion et que cela n’avait rien à voir avec Israël. Ils ne m’ont pas appris à reconnaître un Juif ni ne m’ont dit que certains noms étaient Juifs. L’histoire des Juifs de France, de leurs contributions et de leurs complicités, ils ne me l’ont pas enseignée. Et même mes amis Juifs, ce n’est qu’aujourd’hui que je les découvre Juifs.
Je suis devenu antisémite parce que tout le récit est Juif. L’historiographie épargne les Juifs, les journaux louent les Juifs, les intellectuels sont subjugués par les Juifs. L’indignation pleut sur tout ce qui n’est pas Juif et les rancœurs sont attisées partout sauf à l’égard du Juif. Lorsque des Juifs tuent, c’est l’antisémitisme qui inquiète. Lorsque des Juifs mentent, c’est pour se protéger des antisémites. Lorsque l’on s’oppose à un Juif, c’est parce qu’on le jalouse. Je ne cherche pas d’intention derrière tout cela, peut-être qu’il n’y en a pas, mais je ressens le résultat comme une haute forme d’injustice.
Je suis devenu antisémite parce que le chaos de mon monde est Juif. L’Irak, la Lybie, la Palestine, l’Iran. Des intellectuels voudraient que l’on n’y voie que l’impérialisme atlantique. Et pourtant, tout est Juif avant d’être atlantique dans ces guerres qui nous empoisonnent et sèment la haine entre nous et le monde musulman : du motif, Israël, aux idéologies néoconservatrices qui les ont soutenues dans les pays occidentaux. Je ne me laisserai plus avoir par ceux qui me servent sur un plateau les têtes des quelques complices, hier Bush et Sarkozy, demain Netanyahou, pour faire oublier leur responsabilité collective.
Je suis devenu antisémite alors même que j’admire les Juifs, que je suis conscient de leur colossal apport intellectuel et scientifique, alors même que je mesure que sans eux il n’y aurait pas de France puissance au XXième siècle. Je n’aime pas cette France puissance et je crains par-dessus tout l’Europe puissance que l’on veut construire au-dessus. Je rêve d’une Europe des peuples qui se rencontrent, pas d’une Europe impérialiste qui s’ignore.
Je suis devenu antisémite parce que le sain iconoclasme qui m’a retenu d’adorer Napoléon, Ferry, Jaurès, ou De Gaulle, qui m’a montré les ombres de leurs lumières, a trop épargné les Juifs. Où était-il quand il fallait exposer le suprémacisme culturel de Léon Blum ou de Simone Veil ? Quand il fallait nous enseigner le soutien de Mendès-France à l’Algérie française ou ses liens avec un Israël qu’il a armé, une fois président du conseil, en fusils et en avions ? Les statues Juives trônent intouchables au centre de la République, nouveaux flambeaux de l’impérialisme moral. Derrière elles, des mots vides : Etat de droit, démocratie libérale, Science, République. Des coques. Brûlons aussi les icônes Juives !
Je suis devenu antisioniste parce que le sionisme est suprémaciste, romantique, colonial et civilisationniste. Il commence rêve d’émancipation et d’auto-détermination, il devient machine d’oppression et de propagande. Il envoûte les esprits de son peuple en chantant la gloire et les martyrs. Il n’a pas maté les nationalismes occidentaux, il les a assimilés ! Voyez comme on retrouve chez lui les jeux et les transactions froides de l’Angleterre impérialiste, le civilisationnisme républicain français, le racisme du nationalisme allemand, l’impitoyable conception américaine de l’intérêt national.
Je suis devenu antisioniste parce que le sionisme joue avec les puissances européennes. Avant-hier, il soutenait une puissance française qui pouvait l’aider à développer la bombe nucléaire. Hier, il l’affaiblissait parce qu’elle épaulait trop les arabes. Aujourd’hui, il s’assure qu’elle fusionne avec un ensemble plus grand qu’il pourra, il le pense, continuer à influencer.
Je suis devenu antisémite parce que le pouvoir Juif est assoiffé de ressources. Tout pouvoir cherche des ressources, bien sûr, rien de nouveau. Il en cherche et s’en approprie jusqu’à ce que le peuple qu’il trait se révolte et lui impose des limites. Notre Etat juif cherche des ressources pour la guerre, la technologie, la laïcité, la « modération des contenus », la « science », l’innovation. Il endette les gens malgré eux, une dette dont il se servira peut-être plus tard pour les soumettre, il invoque la « justice sociale », la « justice climatique » ou la « justice intergénérationnelle » pour justifier de nouveaux impôts. Il ne faut pas s’étonner que « tax the rich » soit un slogan qui ait plus d’echo que « pay the poors », que l’on pense à imposer les retraites avant de penser à augmenter les salaires. Contrôler les flux, les dépenses, les usages.
Je suis devenu antisémite parce que tous les députés et ministres Juifs défendent aveuglément le droit à exister de l’Etat-nation Juif, donc son droit à se défendre, et donc, finalement, son droit à tuer, puisqu’on ne peut faire nation juive sans au préalable se débarrasser des trop nombreux non-Juifs qui refusent de quitter la terre qui les a portés.
Je suis antisémite parce que trop de Juifs de gauche ont refusé de se dire antisionistes. Ils me font lire Martin Buber, me disent que le sionisme n’a pas à être cette terrible machine d’oppression et de destruction. Ils me parlent des kibboutz. Mais enfin ! Le sionisme n’est pas ce que vous voulez qu’il soit, il est ce qu’il est.
Je vous évoquais plus tôt le récit. Quand il est sioniste, il est nationaliste, bien sûr. Mais lorsqu’il est antisioniste, il l’est encore : voyez le Juif décolonial m’expliquer que le Juif est le défenseur infatigable de l’opprimé. Même lui est fou du Juif ! A tel point qu’il racontera sans doute demain à mes enfants que ce sont l’Amérique, la France, l’Angleterre, qui ont massacré, seuls, les Arabes de Gaza, qui ont détruit, seuls, le patrimoine d’un peuple. La responsabilité du Juif s’effacera, le cycle tragique recommencera : nos populations, injustement montrés du doigt, se soulèveront contre les Juifs. Je ne veux pas qu’on se venge des Juifs, je veux qu’on les oppose tant qu’il est encore temps.
Je suis devenu antisémite car les Juifs de cour ont construit sous eux la cour des Juifs. En haut de toutes les administrations publiques, des courtisans de sionistes. Les indociles, on les a parqués et fait passer pour des idiots. Nos structures administrative, intellectuelle et technique sont à la fois trop soumises, trop bêtes et trop puissantes.
Je suis devenu antisémite parce que je sais qu’en nous lisant, nous les néo-antisémites, de grands professeurs de psychologie et de sociologie se mettront à pondre des pages sur les ressorts de l’antisémitisme. Ils n’iront pas penser les liens entre Israël et la diaspora, ni la question de la binationalité des Juifs dans l’Etat, ni son influence sur nos politiques. Je suis fatigué de la générosité supérieure de ces intellectuels-là. Je n’ai pas besoin qu’ils analysent et soignent les maux du monde. Qu’ils se retournent et soignent les Juifs.
Je suis antisioniste parce que les sionistes n’ont d’appétit ni pour la démocratie ni pour la justice, ils ont de l’appétit pour un système qu’ils peuvent jouer. La fin justifie tous les moyens. La fin, c’est Israël. Le moyen, c’est tout ce qui est légal. Je ne trouve chez eux ni esprit démocratique, ni respect pour l’esprit des lois, ni sensibilité aux aspirations des gens. Juste une volonté de gagner. Or, sans son esprit, l’institution démocratique n’est qu’une coquille vide à la merci de ceux qui en étudient les ressorts, qui en maîtrisent les lois, qui savent cuisiner ses élections.
Je suis antisioniste parce que les sionistes cultivent chez nous un patriotisme de surface, la marque France. Ils flattent l’égo des français en exaltant leur savoir-faire, exportent leur folkore, brandissent « l’ art de vivre » comme moyen de propagande contre les « obscurantismes ». Leur propagande du fromage promeut une image de nous-mêmes vide et dangereuse et en même temps étouffe ce qui a permis à cet art de vivre de se développer : la liberté et l’égalité. Dans cent ans, on ira voir des chefs français cuisiner de mauvais ris de veau à l’exposition universelle de Tel-Aviv.
Qui soutient Israël dans mon Etat, dans mon parlement, dans mes médias ? Je ne le sais pas. Qui est israélien ? Je ne le sais pas. Tout est dissimulé. Alors je laisse libre cours à mon intuition. Si je sens du Juif qui ne se dit pas Juif, je me méfie et je jette. Dreyfus, Drahi, Olivennes, Dassault, Glucksmann, Borne, Dreyfus, Braun, Bolloré, Attal, Veil, Erner, Cohen, Niel peut-être. Quand je ne suis pas sûr, ils sont Juifs. Je ne vote pas pour eux et je ne crois pas un mot de ce qu’ils disent. Quand leurs journaux et leurs partis, d’une seule voix, désignent un ennemi, je me dis qu’il faut l’apprécier. Dans le brouillard de la République universelle, aveugle et prompte à dissimuler, le Juif est devenu ma seule boussole. Je prends la direction opposée.
Je me réconcilierai sans doute demain avec les Juifs. Comme on s’est réconcilié avec les Allemands après qu’on a démantelé leur Etat, redessiné leurs frontières et qu’on les a soignés de leurs mythes. D’ici-là, j’oppose tous les Juifs. Le Juif de cour, le Juif décolonial, le Juif sioniste, le Juif intellectuel, le Juif capitaliste et le Juif socialiste. Je les oppose en bloc, à l’exception peut-être des Juifs orthodoxes et des sionistes clairs qui crient haut et fort leur amour inconditionnel pour le sanguinaire Israël. Ceux-là, en effet, je peux les opposer pour ce qu’ils disent plutôt que pour qui ils sont. Les autres, je pars du principe qu’ils mentent ou qu’ils dissimulent leurs intentions. Je ne distingue plus. La nuance a trop longtemps été la complice du crime. Voilà mon ultime acte de résistance face à une diaspora incapable de voir le monstre qui grandit en elle.
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