La guerre en Ukraine donne des ailes au productivisme agricole.

Dans ce contexte [de guerre en Ukraine], les appels à produire plus se multiplient. Remettant en cause les objectifs verts européens, qui prévoient de réduire l’usage des pesticides et d’augmenter les surfaces en bio, Bruxelles a autorisé fin mars sous impulsion de la France la remise en production des jachères afin d’augmenter la production européenne.

Sécurité alimentaire et guerre en Ukraine: la productivité agricole en question, Libération, 6 mai 2022

Ainsi, le gouvernement met de côté ses objectifs environnementaux, mettant en avant la guerre en Ukraine et la question de la sécurité alimentaire mondiale. Un prétexte que l’ex-ministre Julien Denormandie avait déjà utilisé dans sa réponse au commissaire européen de l’agriculture, qui reprochait à la France le manque d’ambition de son plan pour la transition écologique agricole. Pourtant, alors que nous allons déjà de crise en crise : crise sanitaire, crise militaire, crise humanitaire, crise alimentaire, il est fort à craindre que reporter la transition environnementale, cela revienne à courir toujours plus vite vers le précipice.

Réserver les céréales à l’alimentation humaine cette année, une solution ?

Il y aurait pourtant des solutions d’urgence qui pourraient concilier la poursuite de nos objectifs environnementaux et la sécurité alimentaire ; malheureusement, personne ne semble les envisager. L’une d’entre elles serait de décimer les troupeaux et de transférer les récoltes destinées à l’alimentation animale directement à l’alimentation humaine. En effet, reporter l’alimentation animale sur l’alimentation humaine permettrait de pallier un manque calorique soudain : un animal absorbe bien plus de calories pour se nourrir que ce qu’il ne fournit une fois abattu. Selon une étude de la section « production animale » de l’INRAE ( l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), même en prenant en compte le fait que certaines calories végétales peuvent nourrir les animaux mais pas les hommes, l’efficacité de conversion calorique de l’élevage se situe ente 0,16 et 0,58, hors élevage laitier. Cela veut dire qu’avec la configuration actuelle des cultures, en redirigeant l’alimentation animale directement vers l’alimentation humaine sans passer par la case élevage, on pourrait fournir entre 42 et 84% de calories supplémentaires que ce qui sont fournies par les filières animales.

L’effet de report temporel de l’élevage pourrait également participer à l’effort de réponse à l’urgence, puisque les animaux nourris cette année ne participeront pas dans l’immédiat à la production calorique animale, tandis que les céréales qu’ils consomment pourront être directement attribuées à l’alimentation humaine. Notons que réduire la part de la viande dans notre consommation alimentaire est aussi souvent pointé comme une solution permettant d’abandonner les herbicides et de s’accomoder des baisses de rendements agricoles que cela causerait, sans pour autant utiliser plus de terres, comme je l’avais discuté ici.

Reproduction du Tableau 7 de l’article : L’efficience nette de conversion des aliments par les animaux d’élevage : une nouvelle approche pour évaluer la contribution de l’élevage à l’alimentation humaine. INRAE Productions Animales, 31(3), 269–288. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2018.31.3.2355

Bien sûr, le sujet est complexe. Une réduction radicale et rapide de la taille des troupeaux cette année affecterait non seulement les éleveurs, qu’il faudrait protéger et soutenir financièrement, mais aussi toute la chaîne de transformation alimentaire. Les prix de la viande s’envoleraient, au détriment des plus pauvres, et il faudrait sans doute mettre en place des tickets de rationnement pour assurer un partage relativement équitable d’une ressource rare. Mais si cela peut éviter une crise alimentaire mondiale, c’est un sacrifice que nous devrions au moins envisager.

Le gouvernement annonce des mesures exceptionnelles de soutien à l’élevage

Imaginer ce genre de solution, ou ne serait-ce que les évoquer, demande un courage politique et une capacité de sortir d’un certain cadre d’action gouvernementale. C’est tout le contraire de la culture politique dominante, qui se contente de s’attaquer aux problèmes dans l’urgence, le nez dans le guidon et sans vision d’ensemble, quitte à nous amener toujours plus près du précipice. Ainsi notre nouveau ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, allant à l’encontre de tout raisonnement calorique, décide au contraire d’accorder des subventions exceptionnelles à l’élevage. Là où les marchés auraient peut-être d’eux-mêmes forcé les éleveurs à réduire la taille de les troupeaux, le gouvernement promeut ce gaspillage calorique à l’aube d’une grave crise alimentaire.

Voir aussi : proportion des céréales destinées à l’alimentation animale, par pays, selon la FAO.

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