Les fausses et les vraies raisons derrière la hausse des frais d’inscription

Petit à petit, discrètement, les frais de scolarité augmentent dans l’enseignement supérieur français. Pour l’instant principalement circonscrite aux écoles de commerces et aux écoles d’ingénieur, elle atteint souvent plusieurs milliers d’euros par an. 2500€ dans les écoles Centrale ou aux Arts et Métiers, 850€ à l’école supérieure de physique et de chimie de Paris (ESPCI), ou encore 3850€ à l’école des Mines. Les droits d’inscription à l’université publique se situent, CVEC comprise, autour de 270€ pour la licence mais sont passés à 2770€ pour les étudiants étrangers. Une pente glissante ?

L’exemple britannique

Il est de notoriété publique qu’au Royaume-Uni, les frais d’inscription sont élevés. En revanche, on oublie que les études y étaient gratuites jusqu’en 1998, que Tony Blair a introduit des frais 1000£/an en 1998, et qu’ils sont maintenant de 9500£. Un exemple qui nous montre qu’il n’existe pas vraiment de « hausse modérée ». Une fois que la technostructure se met en place, permettant aux différentes universités de capter les frais et d’éventuellement mettre en place des bourses, les retours en arrières sont compliqués.

Notons par ailleurs que le système britannique de prêts d’étude qu’on ne doit rembourser qu’au-dessus d’un certain revenu, souvent vanté par des expatriés qui n’y connaissent pas grand chose, est très déficitaire en plus d’être inflationniste, et est remplacé par un nouveau système qui contraint à rembourser beaucoup plus. Cette récente réforme s’applique en partie aux générations précédentes, à qui on avait promis qu’elles ne rembourseraient rien.

La fausse raison : plus de justice

« Les gens qui font des études sont souvent de familles plus aisées, et il n’y a aucune raison que toute la population paie pour eux.» Voilà un argument que l’on entend souvent pour défendre les frais d’inscription plutôt que les études gratuites. En revanche, il ne résiste pas bien à l’inspection. De fait, il existe déjà une façon de faire payer les gens en fonction de ce qu’ils peuvent payer, et ça s’appelle l’impôt sur le revenu. On pourra rétorquer qu’une grande partie du budget est financée par d’autres impôts non progressifs, tels la TVA, mais il n’empêche qu’une loi peut facilement augmenter la part de revenus progressifs, aussi facilement qu’elle introduirait des frais de scolarité, qu’ils soient modulables ou pas. Instaurer des frais, même compensés par des bourses pour les plus pauvres, c’est arbitraire et cela crée des barrières pour les gens ni assez riches ni assez pauvres, qui se retrouvent sans possibilité de payer les frais et sans bourse. Cela ôte toujours plus de liberté d’étude et de liberté de choix aux plus pauvres, cela les rend toujours plus dépendants de la bonne volonté de leur famille que le sont les plus riches.

Les bourses d’excellence posent aussi des problèmes en terme d’égalité : si on est médiocre et riche, on peut étudier grâce à son porte-feuille ; mais si on est pauvre, soit on est brillantissime soit on n’étudie pas. Par ailleurs la disponibilité des bourses fluctue en fonction des gouvernements et de la situation financière des universités. Les bourses n’ouvrent donc pas un droit inaliénable à l’éducation. Instaurer des frais de scolarité crée toujours une inégalité.

Limiter la « consommation » d’éducation et l’optimiser, la vraie raison néolibérale

La principale motivation derrière les frais de scolarité se situe autre part. Elle découle de l’idée que les études sont surconsommées, sont trop libres, sont trop chères, et ne répondent pas assez aux demandes du marché du travail. Autrement dit que l’université doit répondre aux demandes des entreprises, qu’elle est là pour former des compétences utiles, et non pas pour permettre d’étudier ce que l’on souhaite et de former le citoyen.

Bien sûr, ces deux missions de l’enseignement supérieur son importantes, celle d’octroyer un droit universel au savoir, et celle de former des compétences nécessaires pour la société. Néanmoins, le refus de la gratuité et la volonté de mettre en place des frais d’inscription font partie d’un corpus idéologique où la vision de l’enseignement supérieur est purement utilitariste : on ne fait des études que si l’on pense qu’elles seront rentables, qu’elles permettront de gagner plus que ce qu’elles ne coûtent. Quand je dis ici « gagner plus », c’est d’un point de vue purement financier, et c’est sans considération pour les autres gains, comme ceux qui consistent à avoir une population plus cultivée, plus ouverte, plus à même de penser.

Les frais d’inscription sont une manière de pousser les futurs étudiants à faire une analyse coût-bénéfice de leur formation, de les dissuader d’étudier ce qui leur plaît, voire de les dissuader d’étudier tout court.

Mettre la main sur la manne des cerveaux étrangers, moins former les étudiants nationaux.

La mise en place des frais d’inscription trouve aussi son origine dans la mondialisation. On le voit bien dans l’évolution des frais en Angleterre, et dans la façon dont ils s’inscrivent dans la double stratégie de Global Britain et de siphonnage des cerveaux mondiaux. Les législateurs britanniques, toujours très pragmatiques, se retrouver face à deux questions au début des années 2000 :

1/ Comment faire contribuer les étudiants de familles riches internationales sur lesquels notre administration fiscale n’a pas de prise ?

2/ Comment trouver des fonds pour attirer des chercheurs internationaux reconnus, pour répondre à la concurrence salariale toujours plus forte entre universités mondiales, et pour leur donner les ressources dont ils ont besoin pour leur recherche ?

On comprend comment « instituer des frais d’inscription » est apparu comme une réponse possible à ces deux questions : faire contribuer les élites mondiales, investir dans des campagnes de communication massives et dans des bâtiments et des services toujours plus beaux pour les attirer, s’offrir les meilleurs chercheurs mondiaux. Mais elles ont également un corollaire, qui est d’investir moins dans l’éducation de sa propre population et de garder l’argent pour débaucher les chercheurs et les étudiants formés à l’étranger. Un comportement que l’on pourrait qualifier de parasite, une sorte de pendant universitaire d’un schéma de paradis fiscale, et dont les conséquences s’observent dans les déséquilibres européens en termes de flux de chercheurs. Ainsi, le Royaume-Uni est le pays qui de loin aspire le plus de jeunes chercheurs financés par l’UE, tout en fournissant bien moins que la France, l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. C’est ce que le graphique ci-dessous montre, et l’on retrouve la même tendance pour les bourses de recherche européennes ERC. Si le modèle britannique fonctionne, c’est aussi, et surtout, parce qu’il y a les réservoirs français, allemands, espagnols et italiens de cerveaux.

European Commission, Directorate-General for Education, Youth, Sport and Culture, Dėlkutė, R., Nikinmaa, J., Pupinis, M.et al., Study on mobility flows of researchers in the context of the Marie Sklodowska-Curie Actions – Analysis and recommendations towards a more balanced brain circulation across the European Research Area : final report, Publications Office of the European Union, 2022, https://data.europa.eu/doi/10.2766/401134
Pour conclure …

Les frais d’inscription augmentent, et l’exemple britannique nous montre qu’après une introduction douce, cette augmentation risque de s’accélérer. Les universités, rendues autonomes, vont sans doute, en tout cas pour les plus internationalisées et les plus intenses en capital (recherche scientifique), pousser vers l’augmentation de ces frais, comme l’ont fait les universités d’Oxford et de Cambridge au Royaume-Uni. Mais est-ce vraiment de cette manière que l’on souhaite augmenter le financement de notre recherche ? En limitant l’accès de nos propres enfants à l’éducation supérieure ? En choisissant une stratégie d’attrait international qui, comme les stratégies des paradis fiscaux, ne peut fonctionner que dans quelques pays tandis que les autres, inévitablement, verront leurs étudiants partir ? En n’attirant que les élites économiques mondiales ?


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