No magic science

Bœufs et technique

Je crois qu’on peut trouver des solutions techniques intéressantes à des problèmes environnementaux.

Par exemple, alors que l’élevage d’herbivores représente 60% des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture française et 10% du total de nos émissions, il ne me semble pas impossible que l’on réussisse un jour à faire des implants nasaux ou d’autres équipements portés par les vaches qui oxydent en partie le méthane. Ou qu’on cultive des prairies qui leur permettent d’émettre moins de méthane sans affecter leur croissance. Ou qu’on réussisse à faire de la sélection génétique, à optimiser leur microbiome. Il n’y a pas d’impossibilité théorique à ces solutions. Au contraire d’ailleurs. Il est même étonnant qu’on n’ait pas cherché plus tôt, l’oxydation du méthane en CO2 étant favorable énergétiquement et ne demandant qu’à être catalysée.

Retrouver la culture de programmes de recherche appliquée efficaces et rapides

Je suis par conséquent très favorable à ce qu’on investisse dans un effort synchronisé et structuré regroupant éleveurs, chimistes, physiciens, ingénieurs, généticiens, un peu sur le modèle du CEA [Commissariat à l’Energie Atomique]ou du CNES [Centre national d’études spatiales]. Lorsqu’une connaissance théorique est acquise, ce genre de programmes a montré son efficacité et sa rapidité pour développer une solution fonctionnelle et déployable. Je n’ai pas trouvé de travaux de science de gestion qui analysent leur efficacité mais je suppose qu’ils sont bons à coordonner l’exploration de plusieurs solutions, qu’ils savent aussi en abandonner une et remobiliser les scientifiques sur une autre, qu’ils évitent certains écueils de la recherche horizontale, comme le fait que des petits groupes s’obstinent dans un cul-de-sac par orgueil, inertie ou isolement. Par ailleurs, je note aussi que les projets y sont jugés non seulement par l’avis des pairs (évaluation horizontale) mais aussi à l’aune de leur utilité pour l’objectif global (évaluation verticale), ce qui est sans doute propre à accélérer l’atteinte de cette objectif. Ce genre de structure évite aussi les écueils de la start-up, où le besoin de vendre un produit et de trouver des investisseurs pousse à cacher des os sous le tapis pendant plusieurs années, à faire des promesses intenables, et fait perdre beaucoup de temps à la société.

Ne pas prendre des vessies pour des lanternes

Dans le cas du secteur bovin, malgré de nombreuses recherches éparpillées un peu partout dans le monde (voir par exemple ce programme), de telles solutions déployables n’existent pas ENCORE, et l’effort national est encore minimal. Ainsi, le plan METHANE2030 de l’institut de l’élevage, ce n’est que 11 millions d’euros sur 4 ans, soit 0.025% du chiffre d’affaire de la filière. Des idées préliminaires sont là mais posent encore beaucoup de questions. Je pense par exemple à leur idée de nourrir aux vaches des algues qui bloquent la méthanisation via le bromoforme qu’elles libèrent, comme Asparagopsis Armata. A supposer que cela fonctionne, comment cultiver de manière massive une algue qui crée un tel composé ? Quel impact environnemental ? Quid des effets cancérigènes de ce composé bromé ? Autant de choses qui ne seront pas résolues demain.

Les incantations dangereuses de la présidente de la FNSEA

Dans ce contexte, et alors qu’on sait qu’en l’absence de solutions techniques, faire décroître la production bovine sera nécessaire pour respecter notre trajectoire climatique (p. 111 du dernier rapport du GIEC), la vacuité des mots de la présidente de la FNSEA Christiane Lambert au congrès de la production animale européen est tout à fait inquiétante.

« Pas de souveraineté ni biodiversité sans élevage » « pour des décisions basées sur la #Science &non l’ émotion, l’anthropomorphisme. »

Madame Lambert lors du congrès 2023 de la production animale https://eaap2023.org/, prend à partie la cour des comptes qui a récemment indiqué dans un de ses rapports le besoin de décroissance du Cheptel et lui oppose la « Science » et le besoin de « publications ».

D’un, il est bien sûr faux qu’il ne peut y avoir ni souveraineté ni biodiversité si l’on diminue l’élevage, c’est un sophisme. On peut très bien remplacer de la viande par des protéines végétales et retrouver le goût des lentilles et des pois-chiche. Mais surtout, faire croire à la communauté d’éleveurs que la science avec un grand « S » va résoudre ces problèmes, tout en évitant la question de la décroissance du cheptel, c’est un problème. D’ailleurs, les 278 auteurs du rapport du GIEC qui préconisent de manger moins de viande ne sont-ils pas des scientifiques ? La science n’est PAS à la carte, Madame Lambert.

Si ces prises de positions sciemment et artificiellement « optimistes » me semble très graves, c’est parce que le pire qui puisse arriver à un éleveur, c’est qu’on le pousse à investir dans de fausses solutions. Et quand le congrès de production animale est sponsorisé par Illumina (séquençage) et Selko (additifs alimentaires) le risque est grand que les solutions que l’on y présentent soient mauvaises.

Les principaux sponsors du congrès 2023 de la production animale sont une entreprise de séquençage (illumina) et d’additifs alimentaires (Selko).

Par exemple, avec des recherches financées, publicisées ou orientées par une entreprise d’aliments, il est fort à parier qu’on oubliera l’objectif environnemental et alimentaire global. En effet, essayer de diminuer les émissions de méthane en donnant plus d’aliments concentrés aux herbivores, c’est oublier la raison d’être alimentaire comme environnementale des ruminants, c’est-à-dire de digérer l’herbe des prairies non cultivables. C’est utiliser des terres qui auraient pu servir à planter des céréales ou des légumineuses directement consommables par l’Homme, et qui auraient pu lui fournir plus de calories (et de protéines ?). Bref, c’est aller dans le mur. C’est pour cela qu’une bonne politique de recherche a à la fois besoin d’un regard global sur ces questions ET de très bons spécialistes, c’est-à-dire de programmes structurés qui réunissent les meilleurs scientifiques tout en sachant identifier immédiatement une idée qui n’est pas dans la ligne de l’objectif final.

Préparer la décroissance des activités problématiques, et chercher des solutions. Les deux en même temps.

Pour ce faire, il va falloir d’abord s’extirper de ce système où l’on fait croire à des éleveurs que des solutions existent alors qu’elles n’existent pas encore, où on ne se donne pas les moyens d’un progrès techno-scientifique de qualité, mais où l’on entretient la croyance dans une supposée grande « Science » qui viendra tous nous sauver. Quand on aura mis les éleveurs au pied du mur en les poussant dans des pratiques non durables ou des solutions qui n’en sont pas, ce sera la guerre !

Si nous voulons trouver des solutions techniques, des vraies, et pas seulement vous cacher derrière des incantations, donnons-nous en les moyens.

Pour l’instant, la seule solution dont on est sûr qu’elle fonctionne, c’est de manger moins de bœufs et de faire décroître le cheptel, et en premier lieu le cheptel qui n’est pas nourri à l’herbe. Or, en plus de 200 présentations données au congrès de la production animale, aucune place pour la reconversion. Mais alors, qui va accompagner les éleveurs dans ce processus ?



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