Qui veut devenir professeur quand il peut glander ?

Remobiliser les diplômés

Ce matin je lisais cet article dans le Monde, qui explique comment les entreprises du privé redoublent d’inventivité pour attirer les jeunes diplômés, qui aspirent à moins travailler, à avoir des horaires plus flexibles et des vacances plus longues. Cela résonne avec une réalité dont je fais de plus en plus l’expérience : les personnes qualifiées s’habituent de plus en plus à trouver un travail qui leur permet de faire du sport, de travailler à la maison, de s’occuper de leur potager. Pourquoi aller se coincer dans un métier à heures fixes, heures pendant lesquelles toute l’attention est tournée vers toi et tu ne peux même pas mettre d’AirPods ? Pourquoi devenir professeur et accepter les contraintes et l’intensité d’un tel métier, si ce n’est à avoir un grand sens de l’intérêt général ?

Pour moi, les discours sur l’attrait des métiers de la fonction publique ont vingt ans de retard et ratent complètement les évolutions sociologiques récentes (où sont les sociologues quand on a besoin d’eux d’ailleurs ?).

A première vue, on pourrait se féliciter de la baisse du temps de travail des diplômés, de leur semaine de quatre jour – après tout, travailler moins, être libre, vivre mieux, c’est un idéal de société qui a deux mille ans – mais la façon dont cette baisse se produit actuellement me pose plusieurs problèmes :

1. Elle est injuste. Les femmes de ménage, les ouvriers et autres métiers peu qualifiés continuent à trimer pour un salaire de pacotille. Le fait que ce soient les plus diplômés qui bénéficient en premier des baisses actuelles du temps de travail et de la plus grande flexibilité de leurs horaires est un vrai renversement par rapport aux baisses précédentes – qui étaient d’abord des acquis ouvriers.

2. La difficulté de recruter dans les métiers de l’enseignement – et de recruter les bons – fragilise le système de formation, sur le long terme diminue le nombre de bons diplômés, leur donne plus de pouvoir de négociation pour travailler moins, ce qui les rend encore plus rares et courtisés. C’est un cercle vicieux. D’ailleurs, sur ce point, je trouve que des diplômés qui délaissent certains métiers indispensables pour faire du code pour une start-up de fintech ou des diplômés qui font sécession pour aller vivre dans une yourte, ça a le même effet : des qualifications rares, dans laquelle la société a beaucoup investi, sont sous-utilisées, deviennent encore plus rares, dans un marché du travail par ailleurs friand d’hyperspécialisations elles-mêmes très rares.

3. La demande de recherche, d’études scientifiques, devient tellement importante dans notre « société de l’innovation » que la raréfaction des diplômés pousse à la faire réaliser par des gens de moins en moins bons, et qu’ainsi les institutions du savoir tendent à produire un mélange indiscernable de nullités et de travaux de grande qualité (ce point est plus discutable, je me suis laissé allé ahaaha 😉 ).

Alors quelles solutions, de la plus souhaitable à la moins souhaitable ?

1. 👍S’adapter aux aspirations des diplômés. Garder les concours de la fonction publique gages de savoir – éventuellement les transformer en habilitation, mais aussi exigeantes – mais permettre aux enseignants de ne travailler que trois ou quatre jours par semaine, simplifier le cumul avec d’autres activités, permettre de quitter le métier et d’y revenir simplement.

2. 👍Supprimer la mastérisation (M2 nécessaire à l’exercice du métier) pour les enseignants du premier degré et du collège. Exiger un master, c’est diminuer le terreau de potentiels enseignants, et prendre le risque qu’une fois diplômés ils aillent autre part. CAPES en licence + formation de deux ans. La mastérisation est le fruit d’une décision de courte vue de l’administration Sarkozy, qui y a vu l’occasion de faire des économies en supprimant une année de formation des enseignants. Pour les enseignants du lycée, elle se justifie.

3.👍 Raisonner l’arrosage des start-ups comme du conseil par les fonds publics. Ce genre d’entreprises sont des aspirateurs à diplômés et il n’est pas sûr qu’elles en fassent le meilleur usage. L’Etat doit prendre conscience qu’il y a une compétition entre politique de l’innovation et enseignement. Pour l’innovation de demain il faut garder des ressources pour l’enseignement aujourd’hui.

4. Abandonner la bataille et laisser l’IA peu à peu remplacer les professeurs, puis les médecins. Les visio-cours ont déjà commencé dans certaines académies …

5.⛔ Rendre les études payantes pour éviter que la société ne finance celles de futurs improductifs, mais les rembourser pour ceux qui vont dans les métiers de la fonction publique en tension. C’est la voie qu’a suivie l’Angleterre et à mon avis que c’est un très mauvais exemple à ne surtout pas reproduire. Une fois les études payantes, on peut décider de faire rembourser tout le monde, même les enseignants, ça accentue les inégalités d’accès aux métiers, l’endettement à 20 ans crée des problèmes de santé mentale chez les étudiants, cela n’augmente pas l’attractivité des métiers comme infirmiers ou enseignants. Contre-productif.

Je vote pour 1+ 2 + 3+ formation professionnelle massive de codeurs et autres compétences techniques trop rares. Ce n’est pas normal qu’un M2 de mathématiques algébriques s’en aillent faire du front-end pour l’application de BlaBlaCar.

Dans tous les cas il faut se dépêcher de remobiliser les diplômés, car les discours à destination des couches populaire du type, « privatisez, rendez l’enseignement supérieur payant, ce n’est pas à vous de financer les études des gens qui vont dans des yourtes ou se cassent à l’étranger » vont fleurir, et ma conviction c’est qu’ils sont délétères, même s’ils se nourrissent d’une réalité certaine.

La baisse du temps de travail, oui. Mais pour tous, en commençant par les moins qualifiés. Pas par le rapport de force des diplômés sur le marché du travail.


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