Sur le glyphosate, les herbicides, et le bio

Quelques éléments et ordres de grandeurs rapides pour saisir où est l’urgence et résister aux arguments malhonnêtes :

  1. La question de l’impact direct du glyphosate sur la santé humaine est problématique mais ce n’est pas le sujet central, malgré sa plus grande médiatisation, notamment via le procès américain. Le débat et l’attention des agences de validation est vraisemblablement volontairement recentré là-dessus car il est facile pour les fabricants de produire des données montrant qu’il n’est pas si toxique : on expose des mammifères à des doses de plus en plus élevées et on regarde s’ils meurent ou développent des cancers. Expérience « simple ».
  2. Le problème central est l’extinction massive de la biodiversité agricole, avec par exemple, entre 40 et 70% de baisse des populations des oiseaux et des insectes volants [1-7] en zone agricole depuis les années 1990 en Europe. D’ici une dizaine d’années, à ce rythme, il n’y aura quasiment plus rien.
  3. Le glyphosate est un herbicide à large spectre, il tue quasiment toutes les plantes. En France, on ne l’applique qu’après les récoltes et avant les semis pour tuer les plantes non désirables. Aux USA, on l’associe à des OGM résistants et on l’applique aussi sur les cultures OGM.
  4. Les pesticides qui visent les insectes (comme les néonicotinoïdes) tuent directement les insectes. Les herbicides à large spectre tuent les plantes en périphérie (relativement réduite pour le glyphosate) des champs d’application, ce qui a impact tout le long de la chaîne alimentaire, sur les insectes, sur les mammifères et sur les oiseaux.
  5. L’impact de l’utilisation croissante des pesticides pour la biodiversité est un sujet d’inquiétude depuis très longtemps, puisque certains à l’INRA appelaient déjà à une diminution de leur utilisation en 2006 [10], pointant d’ailleurs qu’ils étaient souvent utilisés en trop grande quantité et qu’il n’y avait pas de corrélation nette entre les variations de rendements et de quantités de pesticides utilisées dans les différentes régions de France. Malgré tout, les quantités utilisées en France continuent à augmenter, plus de 10% depuis 2010 [11].
  6. Il n’y a toujours pas de très bon outil de mesures quantitatives de l’impact des pesticides sur la biodiversité, tout simplement car il est quasiment impossible de faire de bonnes études, au standard des agences sanitaires. Il faudrait des écosystèmes témoins gigantesques et tester différentes doses de pesticides pendant des années.
  7. La question de l’écotoxicité (dommage pour la biodiversité et l’environnement) reste, malgré son importance majeure, un angle mort des rapports des agences sanitaires européennes pour le renouvellement du glyphosate, même jusqu’en 2021 où, si on peut voir que l’UE commence à faire cas de l’écotoxicité, cela reste très vague. On peut ainsi lire dans le rapport 2021 sur le renouvellement de la molécule [12] « Il n’y a actuellement pas d’outil validé ou de méthode méthodologique harmonisée pour évaluer la biodiversité dans le contexte de l’agrément des substances actives ».
  8. De plus en plus d’études sont en capacité de pointer l’impact des herbicides à large spectre sur la biodiversité [13-17], mais la meilleure preuve de cet impact reste les études qui montrent la biodiversité agricole très accrue (entre 20% et 40% en nombre d’espèce [18]) dans les zones d’agriculture biologique (bio = engrais naturels et quasiment aucun pesticide).
  9. Le bio n’est pas suffisant ; il faudrait aussi limiter la monoculture et replanter des haies pour repermettre le nichage et la prolifération d’espèces diverses. D’un autre côté, on peut éventuellement discuter l’absence d’engrais « chimiques », comme le nitrate d’ammonium. Malgré tout, je l’utiliserai comme exemple pour les derniers points.
  10. L’argument principal pour ne pas limiter l’utilisation des pesticides est la question des rendements. Or, les cultures bio n’ont des rendements que 20% plus faibles en moyenne par hectare, même si cela dépend des cultures, la baisse des rendements est plus forte pour l’arboriculture par exemple [19].
  11. 20%, cela paraît beaucoup. Alors que la déforestation et le piégeage du carbone sont d’autres enjeux environnementaux importants, on ne peut pas se permettre d’augmenter de 20% les surfaces cultivées pour obtenir les mêmes quantités.
  12. C’est là qu’il faut rappeler que l’on peut changer notre consommation alimentaire pour compenser cette perte de productivité à l’hectare. Par exemple, si notre alimentation devenait vegan (lire le point suivant, ce n’est pas du tout un scénario nécessaire), la surface de culture nécessaire à nourrir le monde entier diminuerait aussi d’environ 20%, même en prenant en compte qu’il faudra plus de cultures directement destinées à l’alimentation humaine pour remplacer les apports caloriques [20-21]. On peut tout passer en agriculture biologique sans utiliser plus de terres
  13. Et sinon, peut-on juste manger moins de viande ? Oui, car en plus des surfaces de culture, plus des deux tiers des surfaces agricoles sont du pâturage. Parmi ces surfaces-là, certaines ne sont pas transformables en cultures (trop sec, trop pentu, trop haut), mais vu l’ampleur des aires de pâturage dans la surface agricole totale, il suffit de remplacer 10% des pâturages par des surfaces de culture pour augmenter de 20% la superficie totale de ces dernières [21]! On peut donc tout à fait se permettre de réduire les rendements de nos cultures agricoles, à condition de compenser par une diminution de la consommation de viande pour éviter un usage des sols accru. L’usage des sols dû à la consommation de viande est si gigantesque que l’argument résiste aux incertitudes inhérents à ce genre d’études.

Tout cela pour vous dire que la question des herbicides est souvent mal présentée, qu’on parle trop peu de l’extinction massive des espèces vivantes, alors qu’au rythme actuel il ne nous reste que quelques années pour agir. Surtout, je voudrais pointer qu’à ma connaissance il n’y a pas d’argument solide contre une diminution massive de leur usage, ni de sur le plan environnemental, ni sur le plan de la sécurité alimentaire. Les fabricants de pesticides et les groupes d’influence de l’agriculture productiviste jouent sur le fait que l’écotoxicité soit une « évidence » difficilement démontrable au sens des critères scientifiques des agences sanitaires.
Bien sûr que la France, comme tous les gros exportateurs agricoles, a un gros intérêt économique à conserver l’usage des pesticides, puisque c’est un levier de croissance à court terme et aussi un levier d’export.
En revanche, on avance souvent que les agriculteurs feraient faillite sans pesticides. Il est vrai que leurs coûts de production augmenteraient significativement, mais il n’y a là rien d’impossible si on les protège des cours mondiaux et qu’on laisse les prix européens remonter au fur et à mesure que les normes deviennent plus drastiques. De toute façon, on voit que c’est un argument malhonnête puisqu’aujourd’hui, le gouvernement prend prétexte de la crise en Ukraine et du manque de céréales pour retarder l’application des demandes européennes pour la diminution de l’utilisation de pesticides.
Les gouvernements successifs ne savent plus quoi inventer pour justifier leur opposition à la fin des pesticides. Le dernier argument en date, c’est celui de notre nouvelle ministre de la transition écologique Amélie de Montchalin, qui justifie en 2018 son vote contre l’interdiction du glyphosate par le fait de vouloir jouer « européen ». Comme si, face à la lenteur de l’Europe et aux limites de ses agences sanitaires, la seule réponse était : ne rien faire.

[1] https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0185809
[2] https://www.nature.com/articles/s41586-019-1684-3
[3] https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ece3.5236
[4] https://cdn.buglife.org.uk/2022/05/Bugs-Matter-2021-National-Report.pdf
[6] https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1039187/UK_Wild_birds_1970-2020_FINAL.pdf

[7] https://www.vigienature.fr/page/produire-des-indicateurs-partir-des-indices-des-especes-habitat
[8] https://www.nature.com/articles/nature13531
[9] https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.aax3442
[10] https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/synthese-expertise-68-pages.pdf
[11] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-05/datalab_essentiel_215_prod_phytopharma_glyphosate_2018_mai2020.pdf
[12] https://ec.europa.eu/food/system/files/2021-06/pesticides_aas_agg_report_202106.pdf
[13] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/B9780128236741000055
[14] https://www.nature.com/articles/s41559-020-1134-5
[15] https://link.springer.com/article/10.1007/s11356-016-6596-2
[16] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6918143/
[17] https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fenvs.2021.763917/full
[18] https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1365-2664.2005.01005.x
[19] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308521X1100182X
[20] https://www.science.org/doi/10.1126/science.aaq0216
[21] https://ourworldindata.org/land-use-diets


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